Pic du midi large
Pic du midi large
Pic du midi

Laurent KoechlinLaurent Koechlin et son équipe nous ont fait découvrir le 20 mars 2015 l’éclipse solaire depuis le Pic du Midi (voir cet article). C’est l’occasion pour nous de faire le point sur son métier, son parcours, ses aspirations…

Laurent Koechlin, vous travaillez à l’observatoire astronomique du Pic du Midi. Nous vous avions interviewé dans le bulletin Koechlin de 1996 et vous étiez alors astronome adjoint. Quel a été votre parcours depuis ?
Je travaille toujours à l’observatoire midi Pyrénées à Toulouse, en tant qu’astronome dans l’équipe « Signal et Images pour les Sciences de l’Univers » (SISU). J’ai maintenant deux thèmes principaux de recherches : l’imagerie  par optique diffractive, et le suivi de la couronne solaire. Mes thèmes de recherches ont donc évolué depuis que je faisais de l’interférométrie, mais je reste dans un domaine proche.

Comment se passent concrètement les observations astronomiques depuis le Pic du Midi ? Quel est votre rôle ?
Le Pic du midiEn ce qui concerne les coronographes du pic du midi, nous avons un fonctionnement particulier : je suis responsable scientifique de cette activité et fais l’interface entre le PNST (Programme National Soleil Terre) de l’Institut National des Sciences de l’Univers d’une part, et les Observateurs Associés d’autre part, une association de 90 bénévoles qui se relayent toutes les semaines de l’année par équipes de deux pour faire les acquisitions d’images servant à l’étude de la couronne solaire. Je monte régulièrement au pic du midi, environ tous les mois pour quelques jours chaque fois, et travaille avec mes collègues professionnels et bénévoles à l’amélioration de la qualité des données recueillies et à leur traitement.
Les Observateurs associés, en échange du travail bénévole (mais qualifié car ils sont formés au préalable) qu’ils nous offrent, sont nourris et logés gratuitement au pic du midi et profitent du site pendant leur séjour. Nous avons à peu près tous les âges (de 24 à 70 ans) et toutes les professions parmi les « OA ». Il faut toutefois être en bonne condition physique car le site est en haute montagne à 2880 m d’altitude avec un accès par  téléphérique depuis la station de ski de la Mongie. Le financement des OA est assuré par un mécène (le patron de Fiducial), ce qui permet d’assurer leurs dépenses et une partie de l’équipement scientifique des coronographes, le reste du financement (salaires, équipement, fonctionnement) venant principalement du CNRS et de l’Université de Toulouse.

Avez-vous un projet qui vous tient particulièrement à cœur en ce moment ?
Oui, l’imageur de Fresnel. Il s’agit d’un projet spatial consistant à utiliser deux satellites en formation, l’un portant une optique diffractive (grille de Fresnel) qui focalise la lumière sur l’autre à plusieurs centaines de mètres en aval. Ce nouveau concept optique focalise la lumière sans miroir ni lentille, du moins dans la partie principale de son optique. Imageur de FresnelCela à l’avantage que la lumière arrive au foyer primaire sans avoir rencontré aucun obstacle sur son chemin : elle a fait tout le trajet dans le vide et n’a pas été affectée par des défauts éventuels des matériaux qu’elle aurait eu à traverser ou sur lesquels elle aurait subi une réflection. Cela donne des images à très haut contraste, et si la grille de Fresnel déployable est de grand diamètre, par exemple 10 mètres, les images seront aussi à haute résolution, c’est à dire très « piquées ». Ce projet que j’ai démarré en 2005 vise entre autre l’étude des exoplanètes. Il en est au stade des tests au sol et grâce aux bons résultats que nous avons obtenus depuis Nice en 2010 et 2012 (par exemple images de Mars et ses satellites) nous espérons bientôt le tester à petite échelle dans l’espace.

L’observatoire du Pic du Midi scrute l’univers depuis 135 ans. Comment voyez-vous l’évolution de cette activité et de votre métier ? La jeune génération s’intéresse-t-elle à l’astronomie ?
L’observatoire du pic du midi, comme celui de haute Provence, sont soumis à de fortes contraintes financières d’une part, et à la pollution lumineuse des villes environnantes d’autre part. Beaucoup de programmes scientifiques se font depuis des observatoires plus éloignés des villes et avec de meilleures conditions météo : au Chili ou à Hawaii par exemple, mais nos deux observatoires nationaux gardent leur utilité.
On pourrait penser que tous les observatoires au sol sont en concurrence avec les programmes spatiaux et qu’à terme tout se fera depuis l’espace car les conditions d’observation y sont incomparablement meilleures. L’espace est en effet irremplaçable dès qu’on veut accéder à des rayonnements qui ne traversent pas l’atmosphère comme les Ultra Violet, X, gamma, ou les infra-rouge, ou encore si on veut étudier de près les objets du système solaire, mais il y a quand même un avenir pour l’astrophysique depuis le sol car en gros il faut multiplier par 100 les budgets entre un projet « au sol » et le même en spatial. Tout ce qu’on peut faire depuis le sol n’a pas de raison économique d’être fait dans l’espace. De fait, le sol et l’espace sont complémentaires.
Bien sûr l’astronomie fait rêver la jeune génération, mais en ce moment comme pour toute la filière scientifique dans la plupart des pays développés il est très dur de trouver un emploi, et quand on en trouve ce sont des emplois précaires et mal payés, après 8 ans d’études supérieures. Les jeunes délaissent les filières scientifiques depuis une bonne dizaine d’années et c’est très dommageable à moyen terme pour l’économie de nos pays. Espérons que cela va changer, en tous cas les étudiants qui nous restent sont les plus motivés et nous avons plaisir à travailler avec eux.

 

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